Arnold Schönberg Symphonie de chambre no°1, op. 9b (1907)
Claude Debussy Nocturnes, L. 91 (1899)
Arnold Schönberg La Nuit transfigurée, op. 4 (vérsion 1943)
10.10.2024 FLAGEY
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Arnold Schönberg Pierrot lunaire, op. 21 (1912)
12.10.2024 FLAGEY
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[toutes les notes de programme]
À l’origine, c’était certainement lié à la nature du public viennois, réputé très conservateur. Les nouveaux compositeurs et la musique contemporaine avaient toujours du mal à s’imposer, même s’ils s’appuyaient sur la tradition.
Dans ce contexte, Schoenberg était un franc-tireur. D’origine modeste, il n’a bénéficié pratiquement d’aucune formation musicale dans sa jeunesse, à la fin du XIXe siècle. Il a pris quelques leçons de violon, a appris à jouer du violoncelle en autodidacte et a fondé un orchestre d’amateurs. La seule musique que Schoenberg connaissait était celle qu’il pouvait jouer lui-même ; il n’avait pas les moyens d’assister à des concerts. Il a reçu des leçons de composition, de manière essentiellement informelle, de son ami Alexander von Zemlinsky. Pour le reste, Schoenberg a tout appris par lui-même.
Il n’est pas surprenant qu’une voie si particulière n’ait pas été tolérée dans la capitale autrichienne. Il est en fait presque miraculeux que les premières compositions de Schoenberg, comme son premier quatuor à cordes en ré majeur, aient été accueillies plutôt favorablement. Très vite, cependant, les auditeurs l’ont pris en grippe. En 1899, la Wiener Tonkünstlerverein a rejeté son sextuor Verklärte Nacht et, en 1900, lors de la création de ses premiers lieder, le public a protesté. Peu entravé par un quelconque bagage historique, le compositeur osait une écriture de plus en plus libre et franche. Sa musique était de plus en plus dissonante ; la première représentation de sa Kammersymphonie, en 1907, a suscité à nouveau des réactions très négatives. « Dès lors, le scandale ne cesserait plus », a dit Schoenberg bien des années plus tard.
En 1908, son écriture est entrée dans une nouvelle ère. Il a pris une décision qui marquerait son travail à jamais : il a rompu avec le système tonal. C’est depuis lors qu’Arnold est associé à l’atonalité. Mais alors que ce changement est souvent décrit comme radical, ce n’est pas de cette manière que Schoenberg le voyait. Il se considérait comme une espèce de missionnaire venu du ciel – en témoignent les titres religieux de ses œuvres, tels que Der biblische Weg et Moses und Aron. Son nouveau style compositionnel était pour lui une étape inévitable dans l’évolution de la musique.
L’enseignement qu’il dispensait dans divers conservatoires témoignait de cette conviction. En effet, alors que Schönberg, dans son traité Harmonielehre, se montre particulièrement critique à l’égard des « abstractions vides de sens issues de la pratique d’une époque révolue », il a continué à enseigner rigoureusement les règles classiques de l’harmonie tonale. Il a fait comprendre à ses étudiants l’importance de la grammaire musicale en s’appuyant sur d’illustres exemples autrichiens et allemands, comme les compositeurs Richard Wagner et Johannes Brahms, qui ont également imprégné son œuvre de jeunesse.
Schoenberg a été le seul à pousser ces théories et ces règles au-delà du point de rupture. Il est allé si loin dans sa recherche du sens harmonique que l’harmonie n’avait plus de sens. À cet égard, par exemple, les œuvres composées après 1908 n’ont pas été qualifiées d’atonales, mais de pantonales. Elles ne sont pas en rupture avec la tonalité, elles unissent les tonalités. Ce n’est que plus tard, à partir de 1923, qu’il est revenu sur ce concept et a écrit de la musique selon sa technique dodécaphonique, où chaque note de la gamme chromatique reçoit une importance équivalente, de sorte que chacune doit apparaître précisément une fois avant de pouvoir être répétée. C’est principalement cette approche quasi mathématique de l’écriture qui, aujourd’hui encore, fait trembler les auditeurs.
Comment encadrer les œuvres au programme d’Aimez-vous Schoenberg ? Verklärte Nacht et la première Kammersymphonie ont été composées dans les années précédant le point de bascule, quand la tonalité pliait mais n’avait pas encore rompu. Schoenberg affiche ouvertement ses modèles compositionnels dans la première des deux œuvres : l’évolution rapide des harmonies s’inscrit dans la continuité de Wagner, la façon dont il traite les thèmes en constante évolution s’inscrit dans celle de Brahms.
Basée sur un poème de Richard Demel, l’œuvre est même en quelque sorte un prolongement des poèmes symphoniques narratifs de Richard Strauss. « Le désir d’exprimer les sentiments que l’œuvre de Dehmel suscitait en lui a influencé considérablement l’évolution de mon style », confierait plus tard le compositeur au poète. Avec Schoenberg, la musique se détache indéniablement plus de sa source littéraire. L’histoire originale d’une femme avouant à son amant qu’elle est enceinte d’un autre homme est complètement submergée par le pouvoir émotionnel intrinsèque de l’œuvre.
Dans la première Kammersymphonie (1906), la tonalité est déjà mise en veilleuse. À la manière de Brahms, le compositeur fait rapidement évoluer le thème. L’instrumentation nourrie y contribue, car avec plus d’instruments à disposition, le compositeur peut développer plus d’idées différentes simultanément. Ici, cependant, l’idée centrale est composée de quartes justes, l’un des intervalles fondamentaux de l’harmonie tonale. Ainsi, il est de moins en moins évident de définir si le matériau est utilisé de manière mélodique ou harmonique. Schoenberg brouille de plus en plus la frontière entre les deux, bien que cette œuvre reste ouvertement ancrée dans la tonalité de mi majeur, avec quelques cadences claires.
Les choses changent avec Pierrot Lunaire. Cette œuvre date de la période expressionniste de Schoenberg telle que l’a définie le musicologue Oliver Wray Neighbour, période qu’il met en parallèle avec la brève incursion du compositeur dans la peinture en 1910, lorsque Schoenberg a exposé avec le groupe Blaue Reiter de Wassily Kandinsky.
Dans Pierrot Lunaire, la tonalité est abandonnée. Ce choix est souligné par l’utilisation du Sprechgesang, où l’interprète passe sans cesse du langage parlé aux notes chantées. Schoenberg explique comme suit sa technique dans la préface : « La mélodie indiquée dans la partie vocale [...] n’est pas destinée à être chantée. La tâche de l’exécutant consiste à la transformer en une mélodie parlée [Sprechmelodie] en tenant compte de la hauteur de son indiquée. Ceci se fait : en respectant le rythme avec précision, comme si l’on chantait [...] ; en étant conscient de la différence entre note chantée et note parlée : alors que, dans le chant, la hauteur de chaque son est maintenue sans changement d’un bout à l’autre du son, dans le Sprechgesang, la hauteur du son, une fois indiquée, est abandonnée pour une montée ou une chute, selon la courbe de la phrase. »
Mais même dans cette œuvre pionnière, le respect de la tradition par Schoenberg reste crucial. Il s’appuie sur des formes établies telles que le canon, la fugue ou la passacaille. Ainsi, même si l’on ne peut plus s’appuyer sur la tonalité, Schoenberg n’abandonne pas la structure, à l’instar de ses grands modèles classiques et romantiques.
Il n’est donc pas juste de présenter Arnold Schoenberg comme un révolutionnaire fou et irrespectueux. Il était certes novateur, mais il savait très bien quelles étaient les limites qu’il franchissait. La manière dont Gustav Mahler considérait la musique de son contemporain est révélatrice : malgré les nombreux vents contraires, Mahler s’est montré positif à l’égard de Schoenberg. Dans des lettres, il indique ainsi qu’il « ne comprend peut-être pas toujours les développements, mais [qu’il] n’a jamais perdu la foi [en Schoenberg] ».