Klarafestival 2025 : l’artiste invitée du festival, Patricia Kopatchinskaja, nous plongera dans un moment particulier de l’histoire de la musique : les années 1930. Une période certes turbulente, mais particulièrement étourdissante sur le plan artistique. Quelques-unes des œuvres phares seront à l’honneur lors de trois concerts.
découvrir plusPatricia Kopatchinskaja : Je me souviens en effet très clairement de mes premières perceptions du rythme et de la mélodie dans la nature. Les gens vous demandent tout le temps qui était votre professeur, mais en réalité, on peut apprendre partout. La musique ne se limite pas à ce qui est noté sur une partition. D’ailleurs, Busoni disait : « Dès que l’on écrit la musique, on la tue. » De fait, on la fige alors littéralement dans une forme rigide. Pour pouvoir interpréter la musique, il faut donc la « décoller » du papier et lui redonner vie. Un concert est une rencontre intime. Je donne à entendre ce qui se passe entre l’œuvre et moi – dans l’instant, sans l’entremise de théories ou de traditions. J’essaie d’entraîner le public dans cette aventure. Parfois, il y a des ratés, et il n’y a pas de mal à cela. Je trouve important d’accueillir les fautes et les imperfections. Après tout, nous sommes des êtres humains.
PK : Je ne fais aucune différence entre ces deux processus créatifs. J’estime d’ailleurs que les compositions n’ont pas de propriétaire – pas même leur auteur. La matière de la musique est présente partout autour de nous. Un créateur s’empare simplement d’une chose qui est déjà là. C’est un privilège de l’entendre, de l’écrire et de la jouer. Le compositeur n’est pas un dieu que viennent servir des musiciens. Pas du tout ! Nous sommes tous des maillons de ce processus de création. La partition est une étape permettant de conserver le matériau. Mais nous devons ensuite l’amener vers notre époque et l’interpréter dans un langage que tout le monde comprend. Quand je joue de la musique ancienne, je ne suis pas dans un lointain passé. Bien sûr, je veux donner à entendre tout ce qu’elle avait de surprenant ou de révolutionnaire à sa création. Mais je me trouve dans le temps présent. Mes auditeurs vivent aussi dans cette époque, ils savent ce que sont la menace nucléaire et le changement climatique, ils connaissent Spotify et l’IA.
PK : Absolument. Sans le public, nous n’existons pas. Il n’y a pas non plus de mur entre musiciens et spectateurs, même si on pourrait parfois le penser. C’est comme si la salle de concert avait remplacé l’église : les musiciens sont à distance respectueuse, et les gens sont juste autorisés à applaudir. J’aimerais briser ce sacro-saint ordonnancement. Pour moi, la scène pourrait tout aussi bien être une plaine de jeux. Jouez avec la musique. Vivez-la, encore et encore. Move it! Quelle est la mission des artistes ? D’abord, ne pas ennuyer le public. Et puis être aussi authentique que possible. Nous nous tenons sur scène, notre fragilité mise à nu, mais porteurs d’un message fort.
PK : Les artistes ont souvent une vision un peu différente du monde. De cette manière, ils sortent les gens de leur zone de confort. Une salle de concert n’est pas un centre de bien-être. C’est un espace conçu pour le divertissement et la beauté, certes, mais aussi pour fasciner, confronter, provoquer. Un artiste montre un reflet de son âme. C’est seulement ainsi qu’il peut accéder à un soupçon de vérité – une vérité qui a toujours plusieurs visages. De ce fait, je ne pense pas non plus que l’art puisse être apolitique. La politique parle de nous, et l’art parle de nous. Nous ne sommes pas des aliens. Nous sommes là, nous formons une communauté.
PK : Tout à fait, alors que la question devrait plutôt s’intéresser à ce qu’un concert vous a fait. Ça peut être lié à la beauté, mais à tant d’autres choses aussi. La beauté est une notion élastique et personnelle. Pensons aux toiles grinçantes de Francis Bacon, au Cri de Munch ou aux représentations de l’enfer de Jérôme Bosch. Ou encore, prenons les portraits de Frans Hals : quand on a le nez dessus, on est loin de les trouver parfaits. Il faut prendre un peu de recul pour ressentir leur force. Une dissonance dans la musique de Kurtág, c’est de la beauté.
PK : Je cherche avant tout à intégrer l’art à la vie, et vice-versa. J’ai beaucoup appris de la musique populaire que j’écoutais dans mon enfance. Elle était très fonctionnelle : il y avait celle pour danser, celle pour accompagner les obsèques et autres rituels. Elle était chaque fois composée de telle sorte qu’il était impossible de ne pas danser ou de ne pas pleurer. Cette forme d’immédiateté est profondément ancrée en moi. À vrai dire, la musique n’est jamais abstraite. Elle est là pour qu’on en fasse quelque chose. Même quand elle est dépourvue de signification ou de message concrets, elle vous interpelle. Elle veut être entendue. Je ne crois pas à la musique absolue. Pas vraiment.