Brussels Philharmonic | cendres

Des cendres aux cendres

notes de programme

explications : MELISSA PORTAELS

Kaija Saariaho Terra Memoria (2006) / Verblendungen (1984)

[lire aussi : la chronique sur Saariaho, EN]
[découvrir aussi : le podcast de Radio France]
[toutes les notes de programme]

-----

12.01.2024 DE BIJLOKE

Des cendres aux cendres

Kaija Saariaho a dédié son deuxième quatuor à cordes, Terra Memoria (2006), à ceux qui ne sont plus parmi nous. Il n'y a pas si longtemps, nous nous remémorions affectueusement nos proches. Avec des bulles dans nos verres, sirotant goulûment l’esprit de fête, ces histoires étaient alors joyeusement agrémentées. Mais finalement ce sont seulement les rires et les larmes qui comblent le vide qu'ils ont laissé à la table. Comme l’explique la compositrice finlandaise, leur histoire est écrite et rien ne pourra plus s’y ajouter. Cependant, dans nos pensées, ils continuent de vivre. Certains souvenirs d'eux restent vifs, tandis que d'autres s'estompent, voire changent. Quelque chose de tangible devient intangible, influencé par le temps et nos expériences.

Dans Terra Memoria, Saariaho applique cette idée dans la façon dont elle manipule la matière sonore. Elle réfléchit à son propre langage musical dans lequel le timbre et la texture occupent une place centrale. On y retrouve des éléments reconnaissables comme des trilles (alternances rapides avec une hauteur adjacente), des tremolos (répétitions rapides de la même note), des glissandos courts (le glissement d'une note à une autre) et l'exploration du spectre entre des sons purs et du bruit complexe. Cela passe notamment par diverses techniques d'archet : près du chevalet (sul ponticello), sur le manche (sul tasto) ou en appliquant une pression croissante sur l'archet. Tout au long de Terra Memoria, divers événements musicaux se déploient. Certains restent intacts, tandis que d'autres subissent de nombreuses transformations. Notamment dans les deux dernières minutes, la mélodie initiale des premiers violons apparaît à nouveau reprise par les altos et dans un paysage sonore totalement différent. La dynamique, la texture et le timbre des cordes environnantes évoluent tout au long de la pièce. Pourtant, avec la réémergence de cette mélodie initiale, un sentiment immédiatement familier est évoqué. La boucle est bouclée.

L’origine et l’aboutissement des choses ont toujours intrigué Saariaho. En connectant le début et la fin, elle renforce non seulement la perception des événements musicaux individuels à l'intérieur de la pièce en tant que parties d’un tout. Mais elle souligne également comment ces différentes parties semblent émerger de rien pour ensuite disparaître dans le néant. Un vide, comme s'il était là en arrière-plan depuis un moment et ne s'éteignait jamais complètement. La matière musicale retourne sans cesse à ses fondements là où tout a commencé. Des cendres aux cendres.

* Le Brussels Philharmonic interprète la version de Terra Memoria de Saariaho pour orchestre à cordes (2009).