Brussels Philharmonic | mozart, jupiter

Mozart : Jupiter

notes de programme

explications : JASPER CROONEN

Wolfgang Amadeus Mozart Die Zauberflöte: Ouverture, KV 620 (1786)
Wolfgang Amadeus Mozart Concerto pour violon n° 5 en la majeur, KV 219 (1775)
Wolfgang Amadeus Mozart Symphonie n° 41 en do majeur, KV 551 ‘Jupiter’ (1788)

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20.04.2023 SCHOUWBURG HASSELT
22.04.2023 FLAGEY
23.04.2023
FLAGEY

Muse, ma mère, inspire-moi des chants qui partent de Jupiter, lui, le roi de tout l’univers !

– Ovide, Métamorphoses, X, 148-149

MOZART, DIEU SUPRÊME DE LA SYMPHONIE

La Symphonie n° 41 de Mozart, dite «Jupiter», est l’un des sommets absolus du genre. Soyons clairs : il ne s’agit pas là d’une opinion sans fondement ou d’une affirmation dénuée de sens. Musicologues, musiciens et critiques s’accordent sans réserve sur les qualités de l’œuvre. Les adjectifs et les superlatifs ne manquent d’ailleurs pas : « D’une grandeur bouleversante, ardente, artistique, pathétique, sublime, cette Symphonie en ut majeur », selon Ernst Ludwig Gerber, historien de la musique et contemporain de l’œuvre. « Il faudrait d’emblée considérer [Mozart] comme l’un des premiers génies des temps modernes et du siècle écoulé ».

De même, Johannes Brahms a placé les trois dernières symphonies de Mozart (dont la « Jupiter » fait partie) au-dessus de l’œuvre révolutionnaire de Beethoven, rejoint en cela par les journalistes de l’Algemeine musikalische Zeitung, qui, en 1864, n’ont pas hésité à comparer Wolfgang à Ludwig.

« Comme toutes ses images sont pures et claires ! [...] On voit la façon dont le maître recueille d’abord son matériel séparément, puis examine comment en faire jaillir le tout, pour enfin construire et élaborer l’œuvre. Beethoven lui-même travaillait de cette manière, comme en attestent ses esquisses. »

Pour ces trois connaisseurs, il ne fait aucun doute que cette symphonie marque incontestablement un jalon dans l’histoire de la musique. Pourtant, son prestige semble surtout être le fruit d’un habile argument de vente. C’est probablement l’impresario londonien Johann Peter Salomon (qui fut notamment le plus grand défenseur de la musique de Joseph Haydn) qui attribua ce nom à l’œuvre après la mort de Mozart. Les accords tonitruants de l’ouverture rappellent, selon lui, le fracas céleste du dieu suprême romain. Ce qui ne serait pas injustifié. Il ne serait même pas si inhabituel de la part de Wolfgang Amadeus Mozart, connu à l’époque surtout comme compositeur d’opéra, de dépeindre des personnages théâtraux.

INTERTEXTE

La qualité de l’œuvre de Mozart transcende toutefois la simple nature figurative de la musique. La force absolue de cette Symphonie n° 41 réside dans sa structure sophistiquée. Dans le premier mouvement, le thème à deux facettes (d’abord le tutti grandiloquent, puis la ligne de violon mélodieuse) permet au compositeur de jouer magistralement avec la forme de la sonate ; dans le troisième mouvement, il renverse les conventions du menuet dansant en déplaçant constamment l’accent, égarant ainsi le public.

Mais c’est surtout dans le dernier mouvement que Mozart dévoile ce qui fait la sophistication de cette œuvre. Un jeu entre cinq thèmes différents. Une fugue élaborée couche par couche. Très populaire à l’époque baroque, ce style contrapuntique était surtout considéré alors comme le terrain de jeu des instrumentistes solistes. Bach, Sweelinck, Buxtehude... autant de compositeurs pour qui la fugue était une affaire solitaire. Le fait que Mozart recourt à l’ensemble de l’orchestre lui confère une grandeur inédite.

Or, cette forme complexe découle d’à peine quatre notes : do, ré, fa et mi, jouées par les violons au début du finale. C’est d’une simplicité trompeuse, me direz-vous. Mais cette simplicité recèle toute une histoire. En effet, ces notes entament une ronde non seulement avec elles-mêmes, mais aussi avec l’histoire de la musique. Le motif remonte à des siècles, et plus précisément au compositeur médiéval Thomas d’Aquin, qui utilise la même mélodie dans son hymne « Pange lingua gloriosi corporis mysterium».

Plus important encore, Mozart fait référence à Johann Joseph Fux, l’un des plus éminents pédagogues musicaux de l’ère baroque, dont le Gradus ad Parnassum est considéré comme l’un des principaux manuels pour les compositeurs de contrepoint. Dans cet ouvrage, Fux utilise à nouveau la même ligne do-ré-fa-mi dans le cadre de l’un de ses exercices. On dirait que Mozart nargue ses futurs collègues en leur disant : « Aspirez d’abord un point ici. C’est ce que fait un vrai compositeur face à un tel défi. »

Les références ne s’arrêtent pas là. Car c’est à Michael Haydn que le compositeur a emprunté l’idée d’une fugue en cinq mouvements en guise de finale d’une symphonie. Sans compter que Mozart reprend également sa propre musique dans le dernier mouvement, à savoir le thème susmentionné qui ouvre la Symphonie n° 41. Il s’agit d’une sorte de double méta-analyse, car dans ce premier mouvement, Mozart avait caché une obscure référence à son propre aria de concert, Un Bacio di Mano. Vous me suivez toujours ?

SUPERSTRUCTURE

C’est précisément cette qualité qui fait la force de Mozart. Malgré toute cette intertextualité, la Symphonie Jupiter ne sonne pas une seconde comme une œuvre scolaire ou maniérée. Chaque mélodie, chaque motif, chaque référence sert l’ensemble et s’intègre parfaitement dans la structure de la fugue.

« Mozart réserve pour le finale toutes les ressources de sa science, et toute son habileté, que nul ne semble détenir autant que lui, pour dissimuler cette science dans une musique aussi plaisante que savante. » – Sir George Grove, The Musical Times

Aussi grandiose et majestueuse que puisse être la Symphonie n° 41 en soi, Mozart nourrissait sans doute des projets encore plus ambitieux. Ses deux autres symphonies tardives, les numéros 39 et 40, ont été composées en même temps que celle-ci, en l’espace d’à peine un mois et demi. D’où la théorie selon laquelle Mozart les aurait considérées comme une seule et même œuvre.

Une hypothèse étayée par un certain nombre d’éléments musicaux. Le mouvement final (« allegro ») de la Symphonie n° 39 pourrait facilement passer dans le mouvement d’ouverture (« molto allegro ») de la Symphonie n° 40. Cela pourrait en outre expliquer pourquoi la « Jupiter » commence si subitement, sans introduction. Si l’on considère les œuvres comme une unité, ce début abrupt est un peu moins déstabilisant. Ce qui alimente encore plus les spéculations : la plupart des œuvres de Mozart ont été écrites sur commande. Seule cette trilogie (ou pas) a été composée de son propre chef.

Bien qu’une seule des symphonies figure ici au programme de l’orchestre, cette superstructure joue néanmoins un rôle modeste. Précédée de l’ouverture de Die Zauberflöte, suivie par le Concerto pour violon n° 5, la symphonie a tout de même droit à son introduction. Un choix bien réfléchi pour souligner respectivement la théâtralité opératique et le savoir-faire thématique majestueux de la Symphonie Jupiter (le concerto pour violon commence, et ce n’est pas une coïncidence, par l’indication de tempo assez exceptionnelle « aperto », c’est-à-dire ouvert, exalté).