Joseph Haydn Symphonie n° 92 en sol majeur, Hob.I:92, Oxford (1789)
Wolfgang Amadeus Mozart Concerto pour piano n° 20 en ré mineur, KV 466 (1785)
Joseph Haydn Symphonie n° 103 en mi bémol majeur, Hob.I:103, Paukenwirbel (1795)
[à découvrir : Mozart Deconstructed]
[toutes les notes de programme]
25.01.2024 DE WARANDE TURNHOUT
26.01.2024 FLAGEY
À la fin du XVIIIe siècle, Joseph Haydn partit pour la Grande-Bretagne à la demande de l’impresario Johann Peter Salomon, et y devint presque immédiatement un personnage public. Il écrit dans une lettre :
Haydn était alors au sommet de sa carrière. Sa musique et ses concerts emplissaient des salles entières de fans en délire. Les deux cycles de symphonies (« londoniennes ») qu’il composa pendant son séjour dans la capitale sont révolutionnaires en termes de structure, d’instrumentation, d’harmonie...
Comment honorer comme il se doit une telle personnalité ? En lui décernant un doctorat honorifique, bien entendu. C’est l’historien de la musique britannique – et ami proche de Haydn – Charles Burney qui proposa (avec succès) sa candidature au titre de la prestigieuse Université d’Oxford :
« Le 8 juillet de l’an de grâce 1791, il y eut des raisons de convoquer [...] afin que d’autres affaires académiques puissent être traitées. Il plut au Lord vice-chancelier d’admettre Joseph Haydn, homme très célèbre et très compétent en matière musicale, au grade de docteur en musique. »
Les écrits de Haydn nous apprennent qu’il attachait une grande importance à ce grade académique. Ainsi, il signa plusieurs documents importants en tant que « Doktor der Tonkunst ». S’il admettait dans ses lettres avoir l’air « très ridicule dans la toge », il affirmait également : « Je dois à peu près tout à mon doctorat. J’ai ainsi fait la connaissance des premiers hommes du pays et j’ai eu accès aux plus grandes maisons. »
Les candidats au titre devaient prouver leur expertise en présentant un morceau de musique au jury. Haydn présenta un court menuet et un trio al rovescio, à savoir une pièce construite comme un palindrome. La Symphonie « Oxford », qui figurait au programme de l’un des concerts de gala de la cérémonie, date en réalité de 1789.
La Symphonie no 92 est un cas à part dans son immense catalogue d’œuvres, puisqu’il s’agit de la dernière avant que Haydn s’attaque à ses douze symphonies dites « londoniennes ». Pourtant, cette ligne de séparation n’est en réalité que peu prégnante : depuis ses symphonies « parisiennes » de 1786, le compositeur ne cessa de repousser les limites du possible et de l’acceptable.
Comme la plupart de ses symphonies de l’époque, cette œuvre commence par une introduction lente. Le thème principal n’arrive qu’au bout d’une vingtaine de mesures, mais il sert ensuite de source à presque tout le matériau. Haydn parvient à développer un flot apparemment infini d’idées qui découlent toutes de ce thème. Cette approche monothématique était très progressiste à l’époque, où deux ou plusieurs thèmes étaient le plus souvent confrontés l’un à l’autre, faisant ainsi apparaître un nouveau matériau. Dans la Symphonie no 92, même lorsqu’un nouveau thème survient dans le dernier mouvement, il ressemble étrangement au thème principal. Il s’agit en fait d’une inversion : Haydn place les notes à l’envers. Il semble que cette pratique a existé de tout temps.
L’histoire a retenu la Symphonie no 103 pour une raison bien différente : l’innovation s’y déploie d’emblée, dès les premières notes. Le roulement des timbales par lequel débute l’œuvre était tellement inédit à l’époque que Burney dégaina ses meilleures métaphores pour l’évoquer :
L’œuvre dut donc faire un choc. Certes, les timbales existent depuis des siècles, mais jusqu’à la fin du XVIIe siècle, elles avaient surtout un rôle d’accompagnement et d’accentuation. À cette époque, les progrès techniques leur permirent enfin d’être accordées beaucoup plus rapidement, offrant ainsi aux compositeurs de nombreuses possibilités nouvelles. À la cour de France, Jean-Baptiste Lully s’empressa de les utiliser dans ses opéras et ses ballets, et au milieu du XVIIIe siècle, des compositeurs comme Georg Friedrich Händel et Georg Philipp Telemann accordèrent ces instruments à la même hauteur que les trompettes pour leur conférer un peu plus de cachet rythmique.
Haydn les utilisa toutefois de façon tout à fait différente : comme instrument soliste, en ouverture de sa symphonie, qui plus est. La salle était en ébullition. Un critique du Morning Chronicle fit la recension de la création dès le lendemain :
Ce fut en somme un succès. C’est ainsi que Haydn donnerait plus tard aux timbales un rôle de premier plan dans la Paukenmesse et dans Die Schöpfung – œuvre dans laquelle les peaux doivent être accordées de pas moins de sept façons différentes.
Cette « grande attention » dont parle le critique du Morning Chronicle n’est certainement pas exclusivement liée à l’utilisation de l’instrument. La façon dont Haydn reprend la mélodie du motif grégorien Dies irae pour produire une ligne de basse menaçante est tout aussi frappante. Cette mélodie a souvent été utilisée dans l’histoire de la musique pour annoncer la mort ou pour installer une atmosphère lugubre. Il est également marquant de constater que la musique reste sur un terrain harmonique incertain pendant de longues minutes. Bien que le roulement des timbales soit en mi bémol, annonçant ainsi une pièce dans cette tonalité, il faut attendre le début du joyeux Allegro pour retrouver un sol stable. Il s’agit là d’expériences tonales sur lesquelles les grands romantiques s’appuieraient au cours des décennies suivantes.
Enfin, les timbales ne servent pas seulement à créer la surprise à l’ouverture. Le roulement apporte également un élément structurel : lorsqu’il revient à la fin du premier mouvement, il bouleverse la structure symphonique traditionnelle. On s’attendrait à ce que tout mène rapidement à la cadence finale, mais en revenant soudain aux mesures d’ouverture, le compositeur prouve, même dans son avant-dernière symphonie, qu’il est un réel précurseur.