Benjamin Britten Concerto pour piano, op. 13 (1938)
Johannes Brahms Symphonie n° 4 en mi mineur, op. 98 (1885)
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15.12.2023 DE BIJLOKE
16.12.2023 FLAGEY
Au début du mois d’août 1938, après les premières répétitions de son unique concerto pour piano, Benjamin Britten (1913-1976) déclara : « L’œuvre est assez “populaire” et les gens semblent beaucoup l’apprécier. » Britten, voyant dans cette œuvre destinée aux célèbres concerts Proms de la BBC l’occasion de montrer ses talents de compositeur et de pianiste, livra un morceau de bravoure débordant d’énergie. Si le public se montra enthousiaste, les critiques furent plus réservés et qualifièrent le concerto d’insipide. Sept ans après sa création, Britten révisa son concerto op. 13 en en remplaçant tout le troisième mouvement.
Le programme de ce concert présente, outre cette œuvre de jeunesse, la Quatrième Symphonie de Johannes Brahms (1833-1897), écrite vers la fin de la vie du compositeur. Malgré son expérience, celui-ci fut saisi par le doute après avoir joué l’œuvre au piano devant des amis proches, qui ne se montrèrent pas particulièrement enthousiastes. Il envisagea même pendant un temps de ne publier que le finale de manière indépendante. Heureusement, il finit par s’en tenir à son idée initiale, car Brahms s’y montre au sommet de son art. Dans cette musique symphonique de la plus pure facture, le compositeur parvient à combiner forme classique et expression romantique d’une façon particulièrement heureuse.
Lorsque, début 1938, la BBC commanda à Britten un concerto pour la Nuit des Proms dont il interpréterait la partie soliste, il saisit l’occasion de faire ses preuves en tant que compositeur et que pianiste. Si le premier mouvement jaillit facilement, le travail se montra plus fastidieux par la suite ; il qualifia même, dans son journal, le deuxième mouvement de « désordonné ». Il acheva la partition juste à temps pour les répétitions et, le 13 août, le concerto fut créé avec l’Orchestre symphonique de la BBC sous la direction de Sir Henry Wood.
Dans ses notes pour le programme, Britten explique avoir conçu le concerto « à partir de l’idée de mettre en valeur les principales caractéristiques du piano, notamment sa large étendue tonale, ses qualités percussives et ses possibilités figuratives ». L’intention est immédiatement perceptible dans le rapide et énergique mouvement d’ouverture, une « Toccata » dans laquelle le pianiste peut faire étalage de sa virtuosité et de ses aptitudes techniques. Britten avait également à l’esprit une « forme simple et directe » : non pas la structure traditionnelle du concerto en trois mouvements, mais plutôt quatre mouvements évoquant la suite ou le divertimento. À l’origine, la « Toccata » était suivie d’une « Valse », d’un « Récitatif et Aria » et d’une « Marche » ; après les premières représentations, Britten se sentit peu satisfait du troisième mouvement et, en 1945, il décida de le remplacer par l’« Impromptu » que l’on connaît aujourd’hui. Il écrivit : « Je n’ai utilisé pour cela que du matériau musical datant de la même période (à savoir la musique de scène de la pièce King Arthur de la BBC) et quelques figures du mouvement original. »
On n’est pas très sûrs des raisons qui poussèrent Britten à remplacer ce troisième mouvement. Peut-être était-ce lié à la critique du Musical Times à l’égard des accents satiriques de l’œuvre : « C’est le contenu qui soulève des doutes quant au mérite réel de l’œuvre, qui aspire certainement à un statut plus élevé que celui d’un jeu d’esprit rusé. [...] La fin du troisième mouvement, qui semble d’un romantisme plutôt banal, est-elle sérieuse ou s’agit-il encore d’un clin d’œil du compositeur, comme dans la première moitié du mouvement ? » Si les critiques saluèrent la structure claire et la construction technique de l’œuvre, ils attaquèrent en revanche son style quelque peu éclectique et la présence d’éléments populaires dans un genre sérieux. Le concerto ne fut plus joué pendant de nombreuses années, jusqu’à ce que Sviatoslav Richter l’intègre à son répertoire en 1967. Aujourd’hui, grâce à des défenseurs tels que Leif Ove Andsnes et Steven Osborne, le Concerto pour piano op. 13 de Britten est devenu une œuvre de concert populaire.
De son vivant et même longtemps après, le compositeur allemand Johannes Brahms (1833-1897) fut considéré comme un compositeur solide, mais plutôt conservateur, n’apportant guère d’innovation au canon musical. Cependant, s’il s’en tint en effet aux formes et aux structures harmoniques traditionnelles, il parvint à les moderniser subtilement, dans le plus grand respect de l’héritage des compositeurs des générations précédentes, tels J. S. Bach et Beethoven. Il fallut un certain temps pour que Brahms ose rivaliser avec le symphoniste de génie qu’était Beethoven. Après avoir rencontré le jeune Brahms, Robert Schumann (1810-1856) qualifia ce dernier de grand successeur de Beethoven, ce qui ne manqua pas de le mettre sous pression. Brahms avait déjà la quarantaine lorsqu’il acheva enfin sa Première Symphonie en 1876 ; immédiatement après sa création, celle-ci fut qualifiée de « Dixième de Beethoven ». La Deuxième Symphonie suivit moins d’un an plus tard puis la Troisième en 1883, alors que Brahms avait la cinquantaine, en hommage à son ami et mentor Robert Schumann.
Brahms travailla à sa Quatrième Symphonie pendant les deux étés suivants, qu’il passa dans les Alpes autrichiennes. En septembre 1885, il écrivit à Hans von Bülow, chef de l’orchestre de la cour de Meiningen, pour lui demander de la diriger, tout en exprimant ses doutes : « Je crains vraiment que la symphonie ait le goût du climat local, où les cerises ne mûrissent pas : on ne les mange pas ! » Mais von Bülow ne tarit pas d’éloges et, le 25 octobre 1885, Brahms dirigea la création lui-même. Si certains critiques qualifièrent l’œuvre de trop intellectuelle, le public sut l’apprécier. Certaines personnalités saluèrent l’ingéniosité de Brahms en matière de développement thématique. Dans le premier mouvement, en effet, Brahms démontre sa maîtrise en générant le matériau musical d’un mouvement entier à partir des quatre premières notes.
Le finale, un hommage à Bach, est un véritable tour de force. Brahms y introduit une forme baroque, la chaconne, et, au sein de ce cadre strict, se montre extrêmement inventif dans le traitement du matériau mélodique et harmonique. L’idée de ce finale lui était venue plusieurs années auparavant, alors qu’il jouait la chaconne de la cantate Nach Dir, Herr, verlanget mich de Bach. Il avoua alors à Clara Schumann : « Si je devais écrire une telle pièce, ou simplement la concevoir, je suis sûr que l’excitation et la tension émotionnelle extrêmes me rendraient fou. » Brahms adopta la même ligne de basse légèrement modifiée pour sa propre chaconne, concevant plus de trente variations pour ce finale dramatique.
- Eduard Hanslick
Avec ses accents sombres, la Quatrième Symphonie de Brahms est tout sauf une œuvre facile à écouter. Mais celui qui fera l’effort de l’aborder d’un peu plus près ne manquera pas d’être touché intellectuellement et émotionnellement.