Dès la fin de ses études, Rachmaninov était considéré comme un compositeur à part entière. « Je lui prédis un grand avenir », se serait exclamé Pyotr Ilych Tchaikovsky (1840-1893) quelques années auparavant. Rachmaninov avait ainsi déjà quelques œuvres impressionnantes à son palmarès.
En tant que compositeur, Rachmaninov puisait principalement son inspiration dans des exemples de sa propre patrie. Des œuvres précoces telles que Le Rocher à L'île des morts, et même les Danses symphoniques, portent toujours en elles les récits musicaux de Rimsky-Korsakov, Tchaikovsky et l'héritage du nationalisme russe du ‘Groupe des Cinq’. Rachmaninov est largement reconnu comme l'un des derniers grands compositeurs romantiques et le digne successeur de Tchaikovsky. Parmi le grand public, son Deuxième Concerto pour piano est particulièrement célèbre. De la même manière que le thème de l'amour dans l'œuvre de Tchaikovsky, Ouverture Roméo et Juliette, a été largement utilisé, des extraits du Deuxième Concerto de Rachmaninov ont été mis en avant dans de nombreux films, dont Brief Encounter. Même Frank Sinatra s'est inspiré de certains des thèmes du concerto pour créer deux de ses chansons, I Think of You et Full Moon and Empty Arms.
Si le public fut d’emblée séduit par ses mélodies expressives et ses timbres riches, la critique ne se montra pas toujours enthousiaste, qualifiant parfois sa musique démodée. Au concert, Rachmaninov souffrait souvent de la comparaison avec le langage musical progressiste des premiers modernistes, un langage qui ne serait jamais le sien. Alors que son compatriote Igor Stravinsky repoussait constamment les limites de ce qui était possible et permis, lui, en tant qu'artiste du XXe siècle, se plongeait toujours dans le passé - ou atteignait le sommet du mouvement romantique, selon la perspective que l'on adopte.
Rachmaninov en fit les premières esquisses à l’été 1900, lors d’un séjour en Italie avec son ami le chanteur basse Fédor Chaliapine, et termina les deuxième et troisième mouvements à son retour à Moscou, juste à temps pour un concert de bienfaisance le 2 décembre 1900. Rachmaninov redoutait cet événement et, cerise sur le gâteau, tomba malade quelques jours avant le concert. Mais les applaudissements furent particulièrement nourris et la presse ne tarit pas d’éloges. Tout cela donna à Rachmaninov suffisamment de confiance en lui pour achever l’œuvre. L’été suivant, il termina le premier mouvement, et le concerto – dédié à Nikolaï Dahl – fut créé le 9 novembre 1901 sous la direction d’Alexander Siloti.
Quelques années avant d'écrire son Deuxième Concerto pour piano, Rachmaninov traversa une période difficile. La composition de sa première symphonie fut laborieuse, et la situation s'aggrava après le décès de Tchaïkovski en 1893. La première exécution en 1897 fut désastreuse : on raconte que Glazounov, légèrement éméché, dirigea une performance chaotique, et que César Cui qualifia la symphonie de « réminiscence des sept plaies d'Égypte ». Rachmaninov sombra dans la dépression et ne composa pas pendant trois ans :
« Une apathie paralysante s'empara de moi. Je ne faisais absolument rien et ne trouvais de plaisir nulle part. La moitié de mes journées se passait sur un canapé et me trouvais dans un grand désespoir. »
Mais en 1900, Rachmaninov chercha de l'aide, la trouvant notamment auprès du neurologue Nikolai Dahl. Ce que nous savons de cette thérapie, c'est que le neurologue était spécialisé dans la thérapie sous hypnose. Différents biographes évoquent un traitement de type mantra, où Dahl parlait à Rachmaninov endormi : « Tu commenceras à écrire ton concerto ... Tu travailleras avec grande habileté ... Le concerto sera d'excellente qualité … » Certains musicologues sont plus prudents dans leurs affirmations, prétendant que les deux hommes ont résolu le problème de manière plus traditionnelle, par la psychothérapie. Une chose est certaine, Dahl a joué un rôle important dans la guérison de Rachmaninov. Après trois mois de traitement, Rachmaninov s’était rétabli. En signe de gratitude, il dédia son Deuxième Concerto pour piano à son médecin.
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